mardi 30 octobre 2007

Les seins nus d’Aphrodite

Ô magnifiques seins, vénustés incomparables qui m’attirez ici tant de visiteurs... Je savais, en effet, qu’en plaçant « seins nus » dans les titres de mes deux premiers articles j’allais forcément attirer un peu de monde. Je ne savais cependant que j’allais en pêcher dans mes filets (les rets d’Aphrodite ?) autant.
Puisque cela fonctionne, et qu’il n’y a là en vérité nulle malice pourquoi ne pas augmenter mes chances avec les moteurs de recherche ? Et avec les gens patients, car, franchement, pour atterrir sur ce blog en tapant « seins nus » dans un moteur de recherche, il faut être un véritable passionné du terme...
Voilà qui me rappelle, d’ailleurs, un temps antique où, pour l’amusement, j’avais (excusez du langage peu châtié qui va suivre) inscrit « gros seins » sur un moteur de recherche. Devinez donc quel fut le premier lien que fournit ledit moteur de recherche ? Allez, un peu d’imagination. Soyez créatifs... Non, franchement, vous ne voyez pas ? Simple, pourtant, le moteur de recherche, bien futé et farceur, nous renvoya en premier lien : Promoviande, spécialiste de la viande en gros. Authentique... Avec mon frère, nous en rions encore.

Mais, somme toute, au-delà de l’intéressant symbole sur la triste consommation de la chair, ce moteur ne se souvenait-il point du temps jadis, où l’on sacrifiait à Aphrodite ? Eh oui, à la déesse de l’amour, de la beauté, mais surtout de la fécondité et de la fertilité, on sacrifiait de doux animaux. Mon Commelin, qui confond systématiquement dieux grecs et romains (c’en est énervant), m’apprend qu’à Aphrodite, et donc ensuite Vénus, on sacrifiait le bouc, le verrat ou le lièvre. À quelle Aphrodite ou Vénus cependant ? Car elle est multiple, l’Aphrodite grecque, qui est certes la déesse de la fertilité et de la fécondité, la déesse de l’amour et du désir (rôle plus spécifiquement dévolu à Éros), mais est aussi Ourania, déesse céleste, Pélagia, déesse marine, et souvent Poliade, divinité de la cité, comme à Sparte, ou à Corinthe, où elle possédait de nombreux temples, dont ceux de l’Acrocorinthe (la « Corinthe haute », autrement dit l’acropole), où elle est armée (comme à Sparte), et de l’Aphrodite Mélaina hors-les-murs. Mélaina, car « noire », cette Aphrodite la Noire étant, bien sûr, une variation de Déméter, une déesse de la terre sombre, des richesses que détient Ploutos, dieu du sol et des ses profondeurs, avant de devenir dieu des enfers sous le nom de Pluton, chez les Romains. Et un trait antique qui nous explique donc pourquoi, aujourd’hui encore, des « Incas » (des Quechuas, plus probablement) christianisés, et devenus catholiques, persistent à accomplir un sacrifice au Diable, en creusant un trou dans la terre où ils jettent quelques offrandes. L’Église ne leur a-t-elle point appris, parmi ses mythes, que le Diable est maître des Enfers, autrement dit des profondeurs de la terre ? Et ne savent-ils pas, dans leur « sagesse » païenne, que c’est cette même terre qu’il convient de se concilier pour obtenir de bonnes récoltes ?
Aphrodite la Noire, parèdre du Diable ? Après tout, l’étoile Vénus, ne portait-elle point le nom d’Hespéros (celle du soir) ou Phosphoros (celle qui porte la lumière) chez les Grecs, noms qui se transcrivaient Vesper et Lucifer chez les Romains ? Mais, à cette haute époque, Lucifer n’était point le diable, n’en déplaise au sens que prit ce nom. Faire du « Porte-Lumière » un avatar de Satan présente d’ailleurs une étrange image de la religion qui fit, ainsi, ce parallèle, si l’on y réfléchit bien.

Nous voici donc bien loin des vénustés complaisamment étalées, des gros seins sacrifiés à Aphrodite par Promoviande, des seins lourds de la littérature, et autres appas proéminents, poitrines généreuses, volumineuses ou opulentes, tant de synonymes pour désigner la même chose : deux mamelons de robuste taille. Bien qu’en vérité, certainement, ceux-là même qui ont confondu, complaisamment, Lucifer et le Diable, vous rétorqueraient qu’à ainsi lister les vénustés féminines nous n’en sommes que les tristes suppôts. Tremblez donc...

Il était donc néanmoins, un temps, où ni en Grèce, ni à Rome, Lucifer ou Vesper, Phosphoros ou Hespéros, n’étaient l’étoile Vénus, car ni les Grecs, ni les Romains ne nommaient ainsi l’étoile du matin ou du soir (et dont ils mirent un certain temps avant de comprendre qu’il s’agissait de la même étoile). C’est par Corinthe que nous pouvons comprendre comment se fit cette transformation. Corinthe, l’orientalisée, où l’on adorait Aphrodite, une Aphrodite, en vérité, très orientale. Non l’Aphrodite Noire, qui pourrait nous rappeler l’Isis Noire, mère d’Harsiesis (Horus fils d’Isis), car tel était, sur les rives du Nil, le nom de l’étoile Vénus. Mais l’Aphrodite de la cité, à qui étaient dévouées un corps de mille prostituées sacrées, dénommées hiérodules (esclaves sacrées), qui rappelaient fortement les prostituées sacrées d’Ishtar à Babylone. Ishtar, maîtresse du ciel, qui aux yeux des Babyloniens brillait dans le ciel de l’éclat de cette étoile que nous dénommons toujours Vénus, et que nous savons planète. Ishtar, qui transita jusqu’aux rives de la Méditerranée par les traits d’Astarté, la déesse phénicienne, maîtresse du ciel, et face de Baal (du Seigneur, voilà qui rappelle d’ailleurs la douce médiation de la Vierge, à qui l’on s’adresse plutôt qu’à Dieu lui-même, trop effrayant pour l’humble croyant). À Chypre, île par excellence d’Aphrodite, colonisée en partie par les Phéniciens, et à Corinthe, ville commerçante en relation directe avec la Phénicie, l’on adora donc une Astarté qui portait un nom grec : Aphrodite. Et ainsi donc naquit cette Aphrodite Ourania, du ciel, et cette Aphrodite Pélagia, protectrice de ces marins qui commerçaient originellement avec le Levant, et qui n’était autre qu’une Astarté hellénisée.
Une déesse donc point différente de l’Isis gréco-romaine, entre autres protectrice de la navigation, et qui devait, on le sait, paver la voie par son culte, à celui de la Vierge. Où l’on retrouve donc la Grande Mère, sous l’un de ses multiples avatars.
Cette Grande Mère dont les servants cherchaient à trouver les signes terrestres via, souvent, des mamelons proéminents s’élevant du sol de la terre mère... Et ainsi la boucle est bouclée.

vendredi 21 septembre 2007

Hieros et Kami

Oui, « hieros » et non « héros et kami ». Mais quel rapport entre le sacré des Grecs anciens, et les kami japonais ?

Voyons déjà, tout d’abord, ce que l’on peut dire de la notion originelle de kami. La définition est tirée de l’introduction de Religions, croyances et traditions populaires du Japon, sous la direction d’Hartmut O. Rotermund (l’introduction étant de Laurence Caillet), Maisonneuve & Larose :
« Je n’ai pas encore une idée très claire du terme kami. D’une façon générale, kami désigne toutes les divinités du ciel et de la terre qui sont mentionnées dans la littérature classique ; puis les augustes esprits présents dans les sanctuaires où on leur rend un culte. D’un autre côté, sans parler particulièrement des êtres humains, tout ce qui est oiseau, animal, arbre, plante, les mers comme les montagnes, bref tout ce qui n’est pas ordinaire, possède une vertu suréminente, [tout ce] qui est à même d’inspirer de l’effroi — ceci fut appelé kami. Telle est la diversité de nos divinités, et il y en a parmi elles d’augustes comme de vulgaires ; il y en a qui sont fortes, et il y en a qui sont faibles ; de bonnes et de mauvaises de par leur cœur et leur comportement une grande diversité. C’est pourquoi il est difficile d’en parler en termes généraux. »
Voici ce que disait du concept de kami, Motoori Norinaga (1730-1801) savant des « études nationales », qui avaient pour but de ‘restaurer’ l’étude de la littérature proprement nationale, en opposition à la littérature chinoise d’où étaient issus les modèles de la littérature japonaise, et qui possédait donc sur cette dernière une sorte de prééminence intellectuelle et morale. Motoori Norinaga étudia les anciens textes pour tenter de débarrasser toutes les influences bouddhiques et taoïstes de ce que l’on commençait alors à appeler « shintô », la voie des dieux japonais (en opposition à la voie des bouddhas).

Un kami est donc toute force et phénomène extraordinaire ou mystérieux, qu’il s’agisse du vent, de la foudre (les lieux frappés par la foudre se trouvaient consacrés), d’un rocher particulier, d’une montagne, d’un arbre étrange, d’un animal de même. Bien qu’en ce qui concerne les êtres vivants, les rochers et plantes, il y ait débat pour savoir si ceux-ci étaient considérés comme des kami, ou uniquement comme « corps de kami », une forme dans laquelle s’incarnait un kami.
Il en va de même avec les miroirs. Ceux-ci, comme d’autres objets, furent assez tôt considérés comme des « supports du divin », des « points de chute » (yori-shiro). Néanmoins, on peut se demander si, originellement, les miroirs n’étaient pas vus comme des kami à part entière. Quand bien même « support » d’un kami, ils seraient devenus kami par sa simple présence.
Et ce lien des miroirs (kagami) et des kami (que l’on retrouve dans le grand miroir, yata no kagami, de la déesse soleil Amaterasu) est si fort que certains proposèrent de retrouver l’origine du mot kami dans celui de kagami.
En vérité, l’origine du mot kami reste mystérieuse. On a écarté le lien entre kami, et un mot homophone kami qui signifie « haut, supérieur », car à l’époque ancienne les deux mots se prononçaient différemment. Cependant, dès le Xe siècle, les Japonais commençaient à faire la relation entre kami « divinité » et kami « haut, supérieur », par un rapprochement logique. De fait, le kami était bien tout ce qui était d’une essence « supérieure ».

Ceci étant dit, qui se suffirait à lui-même, quel rapport entre kami et hieros ? Le hieros est le « sacré » des Grecs anciens. Voici la définition qu’en donne Édouard Will, dans Le Monde Grec et l’Orient (Ve Siècle), Peuples et Civilisations, Presses Universitaires de France :
« Est hieros, d’une part, le divin et tout ce qui s’y rapporte immédiatement (le culte, le rite, le mythe, etc.), mais aussi tout ce qui passe pour relever d’un ordre transcendantal procédant de la volonté divine (ordre du monde, mais aussi bien ordre social, comme on verra) — et bien évidemment tout ce qui, débordant de toutes parts, échappe à l’explication rationnelle et est donc considéré comme d’essence surnaturelle (notamment tout ce qui inspire une crainte irraisonnée : lieux mystérieux, phénomènes paradoxaux, etc.). Mais est aussi hieros tout ce qui, ne l’étant pas « par nature », l’est devenu par un acte de consécration : ainsi les animaux pris comme victimes, les liquides servant à une libation, tout objet faisant fonction d’offrande, mais aussi l’homme lorsqu’il accomplit un acte sacré. Encore ces quelques indications n’épuisent-elles pas le champ immense de tout ce qui peut être hieros. »

Certes, kami est une entité alors que hieros est une qualité. Mais l’intéressant est de voir, par l’exemple, combien des conceptions grecques et japonaises anciennes pouvaient se recouvrir, jusqu’à être jumelles. Ainsi, on le voit de l’extension de tout ce qui peut être kami, et de tout ce qui puit être hieros : pourrait être kami tout ce qui est support de kami, est hieros tout ce qui est consacré au culte, la victime, l’objet sacrificiel, et le sacrificateur. De même, tout phénomène extraordinaire est un kami, ou hieros chez les Grecs. Certes, il peut sembler d’évidence et de sens commun que les hommes antiques, face aux mystères de la nature, aient élaboré des réponses et explications semblables. Néanmoins, il me semble intéressant de le démontrer par l’exemple, et non par la seule réflexion abstraite, que des sociétés a priori aussi différentes et divergentes que la Grecque et la Japonaise antique, aient pu à ce point converger, au moins dans le domaine de la perception du religieux (la philosophie séparant nettement les deux, puisqu’elle est très présente chez l’une, et pratiquement absente chez l’autre).

En vérité, l’on pourrait aussi établir ce même parallèle entre le Japon ancien, et la Rome antique, d’autant que les deux se trouvèrent confrontés à deux civilisations largement plus élaborées et chatoyantes : la Grèce pour Rome, et la Chine pour le Japon. Mais ceci est une autre histoire.

lundi 3 septembre 2007

Cléopâtre l’insoumise

Par un soir venteux d’octobre, dans les palais d’Alexandrie, un homme portant sur ses larges épaules un lourd tapis franchit les piquets de garde des légionnaires romains, et parvient ainsi dans la pièce où se tient César. Devant les yeux du vainqueur des Gaules et de Pharsale, l’homme déroule le tapis, d’où surgit un très charmant génie plein d’audace et de séduction : Cléopâtre, reine d’Égypte. La suite, tout le monde la connaît...
En vérité, il est fort possible que l’arrivée de la reine d’Égypte devant le maître de Rome ne fut point aussi romanesque que nous l’a rapporté Plutarque, qu’elle soit parvenue incognito devant le pavillon qui abritait César est plus que probable, mais ce fut peut-être à pied, escortée par des légionnaires qu’elle parvint jusqu’au fameux Jules.
Peu importe en vérité, la seule question qui fut pour qui aurait oublié, serait de savoir pourquoi la reine d’Égypte était ainsi obligée de se présenter, telle une voleuse, devant Caius Iulius Caesar.
C’est que, dans les faits, reine d’Égypte, Cléopâtre ne l’était plus.

Tout semblait pourtant avoir si bien débuté, trois années plus tôt, alors qu’âgée de dix-sept ans seulement, Cléopâtre, septième du nom, accédait au trône en compagnie de son jeune frère, lui âgé de onze ans, à qui elle avait été mariée, selon les règles dynastiques des Ptolémées. Avait-il alors accompli les rites égyptiens, dans la ville de Memphis, accomplissant quatre fois le tour des murs en courrant devant les emblèmes des nomes et des dieux, avant que la double couronne ne lui soit remise par le grand-prêtre de Ptah ? Ou son jeune âge avait-il fait remettre à plus tard l’exécution de ces rites qui devaient faire de lui le Fils de Ré en bonne et due forme ? Mystère.
Ce qui demeure certain, cependant, est que le père de Cléopâtre et de Ptolémée XIII avait confié les rênes du pouvoir à un fidèle, l’eunuque Pothin, tandis que l’éducation du jeune roi était dans les mains de Théodote de Chios, qui par cette seule fonction occupait un rang éminent. Or, déjà femme, Cléopâtre voulut bientôt assumer le pouvoir réel, gouverner et non plus seulement régner. Elle se heurta donc rapidement à Pothin et Théodote. Malheureusement pour elle, les deux hommes avaient le soutien d’Achillas, un Égyptien (et non un Grec) qui commandait à l’armée, et de l’essentiel de la cour.
On rapporte qu’une première fois, le peuple d’Alexandrie intervint pour faire cesser les intrigues qui secouaient la cour. Pothin et Cléopâtre acceptèrent une trêve de principe, et se partagèrent le pouvoir : les affaires extérieures à Cléopâtre, les affaires intérieures à Pothin. Mais chacun des deux s’organisait pour préparer la chute de l’autre.
Et ce furent ces affaires extérieures qui devaient, de fait, précipiter la chute de Cléopâtre, avant que d’asseoir sa victoire finale. Car, tandis qu’à Alexandrie on luttait pour le pouvoir, à Rome il en allait de même. C’était une autre tourmente, qui devait finalement emporter une république déjà à demi moribonde, et faire naître l’empire.

En effet, de retour de Gaule, César apprit qu’il était menacé d’être traîné en justice par ses ennemis, qui souhaitaient ainsi l’éliminer politiquement. Prenant les devants, il décida donc de franchir le Rubicon, qui marquait la limite de l’Italie sur son versant adriatique. Ses adversaires, mal préparés, furent rapidement vaincus par ses légions aguerries, alors même que les troupes qu’ils venaient de lever se ralliaient finalement à César. Contraints de se replier dans les provinces soumises à Rome, les adversaires de César se mirent donc en quête de troupes et d’argent.
C’est donc ainsi que se présentèrent à Alexandrie les deux fils du gouverneur de Syrie, Bibulus, partisan du Sénat et ennemi acharné de César. Ainsi qu’on l’a vu, le père de Cléopâtre, Ptolémée Aulète, avait été rétabli grâce à l’intervention du gouverneur de Syrie, Gabinius, qui lui avait laissé des mercenaires. Les fils de Bibulus venaient donc à Alexandrie, réclamer ses mercenaires pour combattre Rome. Mais ces derniers se plaisaient tant en Égypte qu’ils assassinèrent les fils de Bibulus. Soucieuse de ne pas perdre l’appui crucial de Rome, Cléopâtre fit aussitôt arrêter les meurtriers, et les expédia à Bibulus. Mais cet acte de soumission fut très mal perçu des Alexandrins, dont la plupart détestaient les Romains.
Tout cela n’eut point été encore trop grave, si par un deuxième acte de zèle envers Rome, Cléopâtre n’avait fini par s’aliéner définitivement les Alexandrins. Car, peu après l’affaire de Bibulus, le fils du grand Pompée, Cnaeus Pompée, se présenta à Alexandrie. Son père, Pompée le Grand, se trouvait alors en Grèce, occupé à combattre César. Il avait dépêché son fils en Égypte afin d’y requérir de l’aide. Cléopâtre ne se fit pas faute de l’apporter. Outre que l’on dit que Cnaeus fut le premier Romain qui passa dans son lit, elle lui offrit du blé et une cinquantaine de navires. Cette fois, c’en était trop pour la fierté des Alexandrins, qui ne supportaient plus de voir leur pays traité comme une colonie par les Romains. Habilement, Pothin attisa le mécontentement populaire, et Cléopâtre dut s’enfuir en toute hâte d’Alexandrie.

Son itinéraire alors atteste du caractère aventureux de sa fuite. Plutôt que de prendre un navire, alors même qu’Alexandrie est un port, elle s’enfuit en direction du sud du pays : la Thébaïde. Il est à peu près certains que les ports se trouvaient surveillés par ses ennemis, et qu’elle n’eut donc guère le choix de son itinéraire.
En Thébaïde, on dit néanmoins qu’elle trouva l’appui du gouverneur de la région, que l’on nommait stratège ou épistratège de Thébaïde. Il l’aida à prendre la route caravanière qui menait à la mer Rouge. De là, un navire la conduisit sans doute du côté d’Aqaba ou d’Eilat, et elle gagna la Syrie.
Elle tenta alors de lever une armée pour reprendre par la force son trône. Mais elle manquait de fonds et ne put rassembler qu’une armée disparate. À la tête de celle-ci, néanmoins, elle se dirigea sur l’Égypte, et parvint devant Péluse, clé du pays pour qui vient d’Asie. Face à elle, Achillas se dressait à la tête d’une armée de vingt mille hommes. Mais aucun des deux n’osa engager le combat. Cléopâtre ne pouvait rien espérer de ses troupes hétéroclites. Achillas espérait certainement que ces mêmes troupes, si peu aguerries, finissent par perdre espoir avec le temps, et se débandent, résolvant ainsi l’affaire sans combat.

Mais alors que tous deux s’observaient en chien de faïence, les événements se précipitaient au sein du monde romain. Vaincu à Pharsale, dans la plaine thessalienne, en Grèce, Pompée s’enfuit de justesse. Il décida alors de se réfugier en Égypte, escomptant y trouver un accueil favorable, car c’était sur son instigation que Gabinius était intervenu. Ptolémée Aulète lui avait donc dû son retour au trône, et par ricochet que l’actuel occupant du trône lui devait celui-ci. Malheureusement pour Pompée, c’était lourdement se tromper.
Car, à peine débarqué en Égypte, Pompée fut assassiné à l’instigation de Pothin et sur ordre du roi. En effet, pour les Égyptiens, Pompée n’était rien de plus qu’un fugitif. César était le vainqueur. Aider Pompée c’était risquer le courroux de César. Avec une certaine logique, ils jugèrent qu’il valait mieux tuer Pompée. De plus, César leur serait certainement reconnaissant de l’avoir débarrassé de son rival sans se salir les mains lui-même.
Ce fut presque le contraire qui survint lorsque César, lancé à la poursuite de Pompée, débarqua à son tour à Alexandrie. Le vainqueur de Pharsale se lamenta sur le sort du vaincu, traîtreusement assassiné, et qui avait été son gendre, car Pompée avait épousé sa fille Julie, morte en couche six années plus tôt.
Les Alexandrins avaient escompté, en assassinant Pompée, que César s’en repartirait promptement poursuivre ses combats. Mais ce dernier, après avoir fait élever un autel à Pompée, décida de demeurer à Alexandrie, que ses trois mille deux cents légionnaires occupaient. Il se trouvait que Ptolémée Aulète, père du présent roi, lui avait promis une forte somme contre son soutien, alors qu’il se trouvait à Rome, et César escomptait bien se faire payer cette promesse. Mais, d’autre part, constatant que Cléopâtre, co-souveraine, ne se trouvait pas à Alexandrie, il jugea bon de s’ingérer dans les affaires égyptiennes en demandant à voir le roi et la reine.

Les jours s’écoulèrent. César serait, finalement, peut-être reparti d’Alexandrie, sachant que l’opposition à son pouvoir n’était pas encore totalement vaincue dans les provinces romaines, mais de virulents vents du nord empêchaient son départ.
Dans son campement devant Péluse, Cléopâtre finit par apprendre la présence à Alexandrie de Caius Iulius Caesar. Elle décida de tenter sa chance. Confiant son sort à Apollodore, un affranchi sicilien, elle embarqua sur un frêle navire, pour gagner Alexandrie.
La suite, on la connaît...

mardi 28 août 2007

Le royaume de Cléopâtre

Prétendre connaître Cléopâtre sans savoir à quelle époque ni dans quel pays elle vécut, est bien sûr impossible. Néanmoins, si le mythe de Cléopâtre est puissant et que l’on ignore rarement qu’elle fut reine d’Égypte, que sait-on de plus ?
Parfois, l’on connaît le nom d’Alexandrie, la ville qui abritait le fameux phare, et la capitale de l’Égypte de Cléopâtre. C’est en effet dans cette cité mirifique qu’elle naquit, celle qui faillit bouleverser le sort de Rome. Cette ville qu’un certain Alexandre le Grand avait fondé trois siècles auparavant, alors qu’il était parti à la conquête de l’immense empire perse.

Sans Alexandre le Grand, en effet, point de Cléopâtre, et pas seulement parce qu’il fonda, non loin de l’embouchure du Nil, sur une langue de terre semi-désertique celle qui allait devenir une des plus célèbres villes de l’antiquité : Alexandrie d’Égypte. Cette ville qui allait porter haut le flambeau de la culture et du savoir, par la grâce de sa fameuse Bibliothèque. Cette ville qui devait incarner, parfois jusque dans ses excès, une certaine idée de la civilisation : raffinée, splendide, magnificente, et érudite.
Mais si Alexandre le Grand fut, d’une certaine manière, « indispensable » à la naissance du mythe de Cléopâtre, c’est aussi qu’il comptait, parmi ses compagnons, un certain Ptolémée (Ptolémaios, en grec). Après la mort du conquérant, ce Ptolémée, en tant que général d’Alexandre, parvint à mettre la main sur la riche Égypte, et à en faire son royaume. Ayant fait enlever le corps d’Alexandre qui devait revenir en Macédoine, son pays d’origine, Ptolémée lui fit élever un magnifique tombeau, qu’on appelait soma, où le corps embaumé du conquérant reposait dans un double sarcophage d’or et de cristal.
Le royaume d’Égypte en 270 avant J.C.

S’appuyant sur la richesse de son royaume d’Égypte, et de son habileté, Ptolémée premier du nom étendit considérablement son emprise, dominant Chypre, la Coélé-Syrie (Israël et Palestine actuels, plus sud du Liban), les côtes sud de l’Asie Mineure, et une partie de la mer Égée, à cela s’ajoutait la côte d’Afrique du Nord jusqu’en Cyrénaïque (en Libye actuelle). Un royaume puissant et prospère, donc, qui maintint son rang et sa splendeur durant le règne de ses successeurs immédiats, qui s’appelaient tous Ptolémée, se distinguant les uns des autres par des surnoms. Ce fut sous un de ces Ptolémées que fut créée la célèbre bibliothèque d’Alexandrie, comme annexe du Musée : à l’origine un endroit où l’on accueillait les érudits, poètes et savants de l’époque, qui étaient logés et nourris au frais du royaume d’Égypte. La bibliothèque était destinée à leur usage, pour leurs travaux.
Mais, comme toute chose, la grandeur du royaume des Ptolémées ne devait avoir qu’un temps. Bientôt minée par des rois incapables, des intrigues de palais et des adversaires coriaces, la splendeur du royaume sombra petit à petit, ses provinces extérieures furent arrachées ou perdues, des révoltes éclatèrent en Haute-Égypte (Thébaïde).

Le royaume d’Égypte faillit même être annexé par les Séleucides, ennemis presque héréditaires des Ptolémées, et maîtres de la Syrie, de la Mésopotamie et d’une partie de l’Iran. Mais Rome, qui dominait déjà l’ensemble du bassin méditerranéen, intervint. La simple menace d’une intervention militaire romaine suffit à faire reculer le Séleucide, qui évacua l’Égypte.
Mais si l’Égypte avait été sauvée par Rome, ce ne fut que pour tomber, de plus en plus, sous la coupe de la Louve. Ainsi, cinq ou six ans avant la naissance de Cléopâtre, Rome décida d’annexer la Cyrénaïque, une des dernières possessions qui demeuraient au Ptolémée hors d’Égypte. Les Romains se basaient sur un testament, prétendument dicté par un précédent Ptolémée, dont ils ne purent cependant montrer la moindre copie authentique. Rome était cependant trop forte pour qu’on put lui résister, et le père de Cléopâtre, qui régnait alors sur l’Égypte, était un enfant illégitime du précédent roi, ce qui rendait ses prétentions au trône d’Égypte plutôt chancelantes. La Cyrénaïque fut donc perdue.
Néanmoins, le peuple d’Alexandrie, une cité essentiellement grecque, ne supportait guère l’humiliation que venaient d’infliger les Romains au royaume. Ils supportaient encore moins ce bâtard qui avait dû s’incliner devant ces Romains détestés.
Craignant sans doute pour sa vie, ou de voir son royaume annexé tout comme l’avait été la Cyrénaïque, Ptolémée Aulète, le père de Cléopâtre, entreprit alors une action plutôt étrange : il quitta Alexandrie sans fanfare ni trompettes, mais en laissant sa famille sur place.

Se produisit alors un drame qui devait peser sur la jeune Cléopâtre. Tout commença en fait par la décision des Alexandrins de se choisir un nouveau roi. Voyant que Ptolémée Aulète avait laissé sa famille dans la ville, ils proclamèrent reine sa fille aînée Bérénice (sœur aînée de Cléopâtre). La succession dynastique semblait ainsi sauve. Puis, ils décidèrent de lui trouver un roi. Ce devait être un aventurier qui se prétendait descendant des Séleucides.
Les deux régnèrent conjointement, apparemment à la plus grande satisfaction des Alexandrins. Mais, trois années après avoir quitté l’Égypte, Ptolémée Aulète revint dans son royaume escorté par les troupes du gouverneur romain de Syrie, Aulus Gabinius, qu’il avait soudoyé en lui promettant une immense fortune pour prix de son appui. Les troupes romaines vainquirent aisément les troupes égyptiennes conduites par l’époux de Bérénice, laquelle fut ensuite mise à mort sur l’ordre de son père.
La jeune Cléopâtre n’avait alors que quatorze ans. Un certain Marc Antoine commandait la cavalerie romaine. Il se peut fort qu’il ait croisé la jeune fille lors de ce premier séjour à Alexandrie.
Le gouverneur de Syrie s’en repartit cependant bien vite, laissant derrière lui quelques mercenaires à Ptolémée Aulète, qui devaient lui servir à conserver le trône contre sa propre population. Mais, quatre années plus tard, Ptolémée Aulète, douzième du nom, s’en allait à son tour rejoindre ses ancêtres.

Cléopâtre accédait alors au trône, mariée à l’un de ses frères, selon la coutume de la cour alexandrine, copiant l’antique modèle pharaonique.
Quel était alors l’état du royaume sur lequel elle co-régnait ? Ce dernier se résumait à l’Égypte, puisque Chypre avait été perdue sept ans plus tôt, annexée par Rome. La structure administrative était celle en vigueur depuis plus de deux millénaires : le pays se trouvait partagé en nomes, petites unités administratives, dirigées à l’époque par un stratège (un titre grec). Il existait une vingtaine de nomes pour la Haute-Égypte, autant pour la Basse, plus quelques nomes pour les oasis. L’Égypte comptait trois villes de statut grec : Alexandrie, Naucratis, et Ptolémaïs, en plein milieu de la Thébaïde. Les Grecs s’étaient cependant installés un peu partout dans le pays, conservant l’essentiel de leurs mœurs et coutumes, tout en adoptant les dieux égyptiens qu’ils mêlaient aux leurs. Le Fayoum, vaste cuvette, avait été mis en valeur par ces mêmes colons grecs, mêlés de Juifs et d’autres nationalités, qui s’étaient peu à peu hellénisées. Mais, trente ans avant l’accession de Cléopâtre au trône, le sud de l’Égypte avait été secoué par une rébellion contre la monarchie grecque. Cette partie du pays avait été ravagée (le temple de Karnak avait été partiellement incendié), et n’était pas encore pleinement remise. L’Égypte dont héritait Cléopâtre n’était donc qu’un royaume qui semblait achever de se décomposer, et ne conserver son indépendance que parce que les Romains voulaient bien la lui laisser.
De ce royaume, certes, Cléopâtre avait certainement déjà l’ambition d’en refaire une grande puissance. Cependant, avant cela, encore lui fallait-il gouverner réellement l’Égypte, dont elle partageait le trône avec son frère-époux, et le pouvoir avec les conseillers hérités de son père. Une tâche qui s’annonçait bien délicate...

mardi 21 août 2007

Cléopâtre l’inconnue

Cléopâtre... Voilà un nom mythique entre tous. Sa légende est si illustre, si puissante, si intense, qu’on pourrait croire qu’il s’agit du récit épique et lyrique des ultimes feux d’Aphrodite, déesse de l’Amour, mais que son mythe, au lieu de naître au temps et sous la plume d’Homère ou d’Hésiode, l’aurait été sous celle de Plutarque, de Dion Cassius ou d’Appien.

Mais, du personnage historique, qu’en savent en vérité la plupart de ceux qui connaissent le mythe, celui de ses amours avec César, puis Marc Antoine, et enfin son suicide sous le dard d’un aspic ? Bien peu de choses, certainement.

Certes, l’Histoire nous aide peu, car des documents d’époque sur Cléopâtre, nous n’en possédons que quelques-uns. La faute à ce qu’elle fut vaincue par Octavien, le futur Auguste, et le vainqueur ne s’est donc guère soucié de conserver des traces de la vaincue, mais bien plutôt de les effacer. Les biographies que nous ont léguées les historiens anciens sont, finalement, assez succinctes, pas toujours très fiables. La faute, là encore, à ce que l’histoire soit écrite par les vainqueurs, comme le veut la formule.
De son amant César, on peut connaître le nom d’une bonne partie de ses lieutenants durant la conquête de la Gaule, savoir qui étaient ses adversaires à Rome, ce qui s’y déroulait durant qu’il était occupé à conquérir la Gaule. Les noms de tous les Romains de premier plan de cette époque sont connus, leur généalogie de même. Enfin, de nombreux détails sur la vie quotidienne à Rome sont aussi connus, que ce soit par les historiens antiques, ou l’archéologie.
On pourrait donc dresser une chronique, année par année, ainsi qu’un tableau détaillé de la vie quotidienne de la Rome de César. Pour l’Égypte de Cléopâtre, c’est impossible. À l’exception de quelques noms que l’histoire a retenus, nous ne savons qui étaient ses proches. Nous ignorons le nom de ses « ministres », de ses généraux ou amiraux, de ses ambassadeurs, ainsi que des philosophes, peintres, sculpteurs, poètes qui auraient pu fréquenter sa cour. Quelles étaient les grandes familles de l’Alexandrie de l’époque ? Leur généalogie, leurs représentants éminents, la situation de leur demeure aristocratique ? Nous savons qu’elles existaient, mais nous ignorons pratiquement tout d’elles. De même, nous savons qu’il y eut une opposition à Cléopâtre. Ainsi lorsqu’elle revint, vaincue, de la bataille d’Actium. Des têtes tombèrent, des fortunes furent confisquées. Mais lesquelles ? Aucune idée.

Bien sûr, tout cela n’est pas totalement la faute au « méchant » Auguste qui aurait voulu effacer toute trace de Cléopâtre (ce qu’il n’a d’ailleurs point fait), mais cela tient aussi au fait que Rome était une république, tandis que l’Égypte de Cléopâtre était un royaume. Dans une république telle que Rome existait un grand nombre de familles aristocratiques, qui conservaient jalousement le souvenir de leur histoire et n’avaient de cesse que celle-ci soit connue. À savoir que les hauts faits de leurs membres soient admirés de tous. De plus, puisque le pouvoir était partagé entre toutes ces familles, avec parfois l’arrivée de familles neuves, les historiens de Rome étaient bien obligés de parler de tout ce beau monde, qui a laissé, de plus, un grand nombre de témoignages archéologiques. Mais dans l’Égypte de Cléopâtre, il n’y avait a priori qu’une seule personne qui comptait : le roi, ou la reine (ou les deux). Sauf pour leur octroyer une récompense, le roi n’avait aucun intérêt à célébrer les hauts faits de ses sujets. S’il y avait une victoire, il fallait en féliciter le roi, même s’il ne commandait pas l’armée. Une bonne récolte ? C’était encore par la grâce du roi (et des dieux). Dans le régime monarchique, il n’est pas place à la concurrence, personne dont on puisse tolérer que sa gloire fasse de l’ombre au monarque. Le surintendant Fouquet apprit, à ses dépens, cette dure loi du « c’est moi le roi, et pas toi », après qu’il eut voulu éblouir Louis XIV par son château de Vaux-le-Vicomte. Mais n’était-ce pas une folie manifeste que de vouloir éblouir le Roi Soleil ? Un lointain héritier, somme toute, des pharaons Fils de Ré, autrement dit du Soleil.
Et, mieux encore que Louis XIV qui était roi de droit divin, Cléopâtre était, par son statut de pharaon et la titulature de la cour alexandrine, une sorte de « déesse vivante », à la fois pour ses sujets grecs et égyptiens. Un tel pouvoir divin, encore moins qu’un autre, supporte peu l’opposition et la contestation. Voilà donc, en grande partie pourquoi, de l’Égypte des Ptolémées, dont Cléopâtre fut la dernière représentante nous savons si peu de choses de sa haute société.

Mais de ce royaume composite nous possédons néanmoins une image assez fine, ce qui fera l’objet d’un prochain article sur le « royaume de Cléopâtre ».

dimanche 19 août 2007

La Grande Mère

Le culte d’une déesse mère, qu’on nomme aussi « Grande Mère » ou « Grande Déesse » est probablement un des plus anciens cultes qui soit, tant la fonction maternelle est incontournable de ce que nous pouvons attendre d’une divinité : protection, bienfaisance, nourriture, apaisement. De plus, face à une divinité « céleste », qui nous surplombe de toute sa puissance (supposée), nous pouvons nous sentir tels des bébés démunis et faibles, et de cette divinité, nous attendrons alors qu’elle nous couve de tout l’amour dont une mère est capable. D’où, d’ailleurs, le succès toujours intact des cultes de type « maternel ». Ainsi donc naît le culte de la « Grande Mère ».

Il est possible, mais pas certain, que ce que l’on nomme les « Vénus préhistoriques » révèlent l’existence d’un culte paléolithique de la Grande Mère. Il est cependant bien difficile de saisir ce que pouvaient croire et imaginer les populations de ces époques reculées. Ces statuettes sont-elles, déjà, l’expression d’un culte à une Grande Déesse qu’elles incarnent ? Ou s’agit-il de sorte d’ex-voto qui représente ce que l’on souhaite obtenir (sans que l’on sache très bien quoi, par ailleurs, les hommes préhistoriques, fort défaillants, ne nous ont pas laissé le mode d’emploi) ?

En tout cas, ce qui demeure très incertain pour la préhistoire, commence à se préciser et à s’affirmer dès l’approche des temps historiques.
Pour en revenir à la Crète et à l’aire égéenne dont elle fait partie, il semble à peu près certain que le culte principal, avant l’invasion des Grecs (vers 2.000 av. J.C.), était celui d’une Grande Mère.
Tel est probablement le cas dans la civilisation cycladique, qui s’épanouit dans les îles du même nom, au centre de la mer Égée. Tel fut probablement le cas en Grèce même, en Crète et sur les rives d’Asie Mineure.
On le sait par le biais des fouilles, qui ne révèlent que des idoles féminines (Crète, Cyclades). On le devine par l’étude détaillée des mythes et légendes grecs qui nous sont parvenus. Enfin, on en possède pratiquement la certitude grâce aux cultes grecs qui ont succédé aux cultes préhelléniques.

Si le grand dieu des Grecs est Zeus, dieu de la foudre et du tonnerre, dont le nom est d’ailleurs l’équivalent de Deus (notons la proximité du z, qui se prononce dz, et du d), les Grecs n’en adoraient pas moins des déesses.
Ainsi en est-il d’Héra, dont le grand temple de Grèce continentale se trouvait à Argos, où l’on suppose qu’elle a simplement supplanté une Grande Mère préhellénique. Mais certains voient aussi dans Héra, l’héritière directe de cette Grande Mère préhellénique, et ses rapports houleux avec Zeus ne seraient que le souvenir du conflit entre les conquérants grecs adorateurs de Zeus, et les autochtones adorateurs d’Héra. Mais ceci n’est qu’une hypothèse. Héra possédait, par ailleurs, un temple tout aussi important à Samos, où elle recouvrait une ancienne Grande Mère asiate (à savoir : adorée en Asie Mineure).

Toujours en Grèce continentale, le très fameux oracle de Delphes était passé, selon la légende, de la tutelle de Gaïa, ou de Thémis, toutes deux déesses, à Apollon, un dieu grec par excellence, qui avait tué le serpent fabuleux Python (d’où le nom de Pythie ou Pythonisse à la prêtresse chargée de prophétiser). On remarquera alors l’association de la Terre Mère (Gaïa) au Serpent. Association que l’on pourrait retrouver dans les cultes d’Athènes, où Athéna aurait vaincu un autre antique serpent. Mais, ici, Athéna, déesse guerrière, semble être l’incarnation d’une déesse grecque, et non pas d’une déesse préhellénique. C’est à nouveau, cependant, le souvenir de la victoire d’un culte sur un autre.

Mais, la Grande Mère par excellence, ce fut Artémis d’Éphèse, que nous avons déjà évoquée. Son temple, dans la ville du même nom, fut considéré comme une des sept merveilles du monde à l’époque hellénistique et romaine (de 300 avant J.C., à 300 après). Tout comme l’Héra de Samos, c’était une déesse des marais, puisque leurs temples furent construit dans des marécages (ce qui causa de grands ennuis aux architectes grecs lorsqu’ils voulurent les rehausser). Des déesses, donc, intimement liées à l’eau, et au mélange de l’eau et de la terre.
L’Artémis d’Éphèse était, dans le monde grec, l’incarnation de la Grande Mère dans toute sa splendeur : portant plusieurs rangées de seins, ainsi que des animaux, un nimbe sur la tête, des victoires suspendus à ce nimbe, des abeilles, des lions, des cerfs, des biches, des griffons. Elle est donc le symbole à la fois de la déesse maîtresse du monde sauvage, mais aussi nourricière, et finalement, souveraine sur le monde entier. Son culte sera florissant à l’époque hellénistique et romaine.

Si l’on quitte le domaine grec, il n’est pas certain que l’on retrouve une Grande Mère dans la déesse Ishtar de Babylone, ni dans l’Astarté phénicienne qui lui correspond.
Par contre, l’on trouve une telle figure en Égypte, dans la déesse Mout, épouse du grand dieu Amon. Et ce, déjà de par son nom même de mout, qui signifie « la mère ». Entraînée par la gloire d’Amon, qui d’obscur dieu de Thèbes devint dieu de l’Égypte entière, Mout finit par devenir la grande divinité égyptienne, la « Mère » par excellence, douce, apaisante, compatissante, mais aussi reine, et parfois furieuse, en ce qu’elle était l’œil de Ré.
On notera cependant que des déesses tels que Bastet ou Hathor possédaient ce même aspect de « mère » divine, compatissante et apaisante, particulièrement pour la première, très populaire à la fin de l’époque pharaonique, et qui veillait aussi sur les naissances.

Néanmoins, le tableau des « Mères » égyptiennes ne serait pas complet si l’on oubliait celle qui devait avoir une destinée spectaculaire bien au-delà de l’Égypte : Isis.
En Égypte même, elle dut d’abord son succès d’être la mère d’Horus, dieu royal, et ensuite l’épouse d’Osiris, qui deviendra le dieu le plus populaire d’entre tous à la basse époque (fin de l’Égypte pharaonique).
Hors d’Égypte, elle finit par supplanter totalement Osiris et Sérapis (dieu « créé » par les derniers souverains grecs d’Égypte), dieux avec qui elle avait été initialement « exportée », pour finir par être adorée dans l’ensemble de l’empire romain, et même au-delà. Déesse des arts magiques, mère compatissante (celle qui veille sur Horus), protectrice des marins, déesse des femmes, déesse « aux mille noms », elle est réellement La Déesse, celle que vous pouvez adorer et vénérer seule, tant ses fonctions sont vastes.

Mais l’autre Grande Déesse par excellence de l’empire romain sera aussi Cybèle, et on ne peut évoquer les Grandes Mères, sans évoquer celle qui était surnommée La Mère des Dieux.
Tout comme Artémis d’Éphèse ou Héra de Samos, elle est une Grande Mère asiate (originaire de Pessinonte en Asie Mineure). Mais son culte était beaucoup moins doux et apaisant que celui de la compatissante Isis. Car la légende de Cybèle impliquait son parèdre Attis, qui s’était émasculé (autrement dit châtré) pour la Déesse. De fait, les prêtres de Cybèle étaient des eunuques. De plus, lors des fêtes de la déesse, ses fidèles se tailladaient les bras à coup de hache, faisant ainsi des processions de la déesse, des défilés sanglants (il arrivait aussi souvent que certains fidèles, en pleine extase, se châtrent eux-mêmes en pleine fête…).

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Isis et Cybèle n’ont point disparu. Elles survivent en effet dans un nouvel avatar de la Grande Mère qui leur doit beaucoup : la Vierge Marie. La Sainte Vierge des chrétiens (pour ceux qui l’adorent) a en effet directement emprunté les représentations d’Isis mère d’Horus. La Vierge allaitant l’enfant Jésus, telle était déjà représentée Isis allaitant Horus. La mère compatissante, telle est aussi la Vierge, sans compter les « innombrables noms » d’Isis. Ne compte-t-on pas une infinité de Notre-Dame de ceci ou de cela ? Enfin, à Cybèle, elle a emprunté son titre de « Mère de Dieu ». Cybèle était Mère des Dieux, mais puisque nous nous trouvons dans un « monothéisme », la Vierge devient « Mère de Dieu ». Et les innombrables processions de la Vierge sont parfois les héritières directes des processions de Cybèle, qui se trouvait fort adorée en Espagne… Enfin, les auto-flagellations de certains, qui tendent à disparaître, ne le cédaient en rien à celle des galles (prêtres) de la Grande Mère asiate.

Alors, non, la Grande Mère n’est pas morte, et au vu de la ferveur que son culte suscite encore de part le monde, elle semble avoir encore de beaux jours devant elle…
Nous voilà rassurés. :)

samedi 18 août 2007

L'Archange Paon

Certains considèrent, à tort, les Yezidis comme des musulmans chiites hétérodoxes (qui se sont écartés du dogme principal, donc). Il se trouve néanmoins qu’il faut parler de religion yezidie, et non pas de secte yezidie au sein de l’islam.

Sans vouloir entrer dans les détails d’une religion pour nous complexe (parce que inconnue et de transmission orale), je tenais à revenir sur un point de cette religion, à savoir leur culte de Melek Ta’ous.
Car, peu avant ces terribles attentats qui viennent de les frapper, cherchant des renseignements sur la symbolique du paon en alchimie et à Byzance, j’étais tombé sur ce paragraphe final de l’article « Paon » du Dictionnaire des Symboles (Robert Laffont, collection Bouquins) : « Les Yezides, originaires du Kurdistan […] accordent une grande importance à la puissance nommée Malik Taous, l’Ange Paon, en lequel s’unissent les contraires ».
Voilà pourquoi les attentats qui les ont frappés m’ont plus marqué encore, au-delà de leur sinistre bilan. Des gens qui adorent le Paon peuvent-ils être mauvais ? À nos yeux, bien sûr que non.

Précisons que l’article du Dictionnaire des Symboles commet une légère erreur : ce n’est pas malik (qui signifie « roi »), mais melek (qui signifie « ange » ou « archange »).

Or donc, les Yezidis voueraient un culte à l’archange Paon…
Il se trouve que, la première fois où j’ai entendu parler d’eux (un peu après l’invasion de l’Irak), je les ai entendu décrits comme « adorateurs du Diable », sous la forme de « l’archange Pan qui aurait pleuré », en gros d’un Diable qui se serait repenti, voilà ce que j’avais compris. Je ne sais si cette mention d’archange Pan, je l’ai lu ou l’ai entendu, car alors la confusion entre Pan et Paon, qui peuvent se prononcer à l’identique, s’expliquerait. De fait, que des adorateurs de Pan soit aussi ceux du Diable semblait parfaitement cohérent. Pan, dieu de la nature sauvage, représenté avec des jambes de boucs et des cornes du même animal, n’est-il pas l’image même du Diable à la sauce occidentale ? Que des Irakiens vénèrent Pan, qui est un dieu grec, pouvait d’ailleurs s’expliquer par le fait que les Grecs dominèrent, il y a longtemps de cela, la région. Le souvenir de Pan pouvait donc s’y être conservé.

Néanmoins, ce n’est donc pas l’archange Pan, mais l’archange Paon…
Quant à la croyance qui en fait des adorateurs du Diable, il s’agirait rien moins qu’une diffamation de leurs voisins musulmans (ceux qui ne croient pas la même chose que nous sont mauvais, c’est le principe de base de bien des religions), ainsi que d’une confusion avec certaines spéculations des mystiques soufis : Iblis (Le Satan du Coran) ayant refusé de se prosterner devant Adam, comme le requérait Dieu, fut donc chassé. De là, certains ont estimé qu’en refusant de se prosterner devant la créature, Iblis ne faisait que manifester qu’il n’avait d’autre maître que Dieu. Il était donc le plus pur et le premier des véritables monothéistes (voir l’article de wikipédia à ce sujet).

Enfin, toujours selon le même article wikipédia, la confusion proviendrait aussi de ce que le paon est un animal associé au diable en Islam.
Le Dictionnaire des Symboles n’en fait absolument pas mention, ce qui ne signifie aucunement que le fait soit inexact.
Il note que, symbole solaire et d’immortalité chez les chrétiens, il est un symbole cosmique en Islam : lorsqu’il fait la roue, il symbolise soit l’univers, soit la pleine lune, soit le zénith.

De même, le dictionnaire rapporte que si le paon est symbole de la totalité dans certaines traditions ésotériques (parce qu’il rassemble toutes les couleurs sur sa queue), il est lié au Bouddha Amithaba au Tibet, symbole d’immortalité (encore) en Inde, et de paix et de prospérité en Chine et au Vietnam.
Rien que du bon, donc.

Mais il est certain que si une divinité du Mal existe, alors ceux qui ont commis ces attentats sont ses serviteurs empressés.

Sur le sujet :
Article wikipédia sur le Yézidisme
Les Yezidis « adorateurs du diable », par Jean-Paul Roux, plus succinct (lien présent sur la fiche wikipédia).
Dictionnaire des Symboles, Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Robert Laffont éditeur / Jupiter éditeur, collection Bouquins, article « Paon ».

vendredi 17 août 2007

La mosaïque proche-orientale

Quittons la Crète minoenne et ses déesses aux seins nus, pour évoquer brièvement un tragique fait d’actualité : il s’agit des sanglants attentats qui viennent de toucher la communauté yezidie d’Irak.

Les Yezidis, qui sont en fait un groupe observant la religion du même nom, j’ignorais tout de leur existence jusqu’à l’invasion de l’Irak par les troupes de la coalition U.S.. Certes, nul n’est censé savoir tout sur tout, et cela serait d’ailleurs impossible. Néanmoins, j’avais une notion assez précise de cette mosaïque de communautés, essentiellement religieuses, qui constituent le Proche-Orient. Si celui-ci est essentiellement peuplé d’Arabes (à savoir de personnes s’exprimant en arabe), il est aussi quelques Araméens (au Liban), des Tchétchènes dits encore Tcherkesses ou Circassiens (en Israël), et l’on peut se demander si les Kurdes sont réellement un peuple du Proche-Orient, ou s’il faut les ranger dans ceux du Moyen-Orient (d’une extension géographique plus vaste), mais il est probable par contre que les Turkmènes d’Irak appartiennent à ce Proche-Orient. Mais peu importe ces considérations de frontières.

À ces peuples ou ethnies, parlant donc des langues différentes, il convient de rajouter l’extraordinaire profusion des religions et de leurs divisions. Si j’ignorais donc l’existence des Yezidis, ainsi que des Sabéens (toujours en Irak), je savais par contre que le Proche-Orient se trouve essentiellement peuplé de musulmans, eux-mêmes partagés entre sunnites et chiites, et de chrétiens, ainsi que de juifs, dont il existait d’importantes communautés en Irak, au Liban et en Syrie avant la création de l’état d’Israël (ils furent alors expulsés en « représailles » à cette création par des états qui en profitèrent pour saisir leurs biens, belle opération de pillage sous prétexte de nationalisme arabe).

Par suite de l’histoire mouvementée de la religion chrétienne, et des querelles qui divisèrent cette communauté religieuse, il se trouve donc que les chrétiens du Proche-Orient (comme ceux du monde entier, par ailleurs) sont divisés en une multitude de sous-chapelles, dont les plus connues sont l’orthodoxe et la catholique. À Jérusalem, il existe ainsi 14 patriarches chrétiens. Oui, vous avez bien lu : quatorze. À savoir quatorze chefs d’une branche du christianisme, tous rivaux bien sûr. Et ce nombre ne comprend pas les protestants, nouveaux venus, mais qui sont encore plus divisés que les communautés historiques du Proche-Orient. Ce phénomène s’étend au-delà de la mythique Jérusalem. Ainsi, Alep (héritière d’Antioche) compte 11 patriarches chrétiens.

Dans le monde islamique, si les sunnites sont à peu près unis, les chiites sont eux aussi divisés en plusieurs rameaux. Le principal est celui nommé chiisme duodéciman, appelé ainsi parce que ces chiites vénèrent douze imams (duodecimus : « douzième » en latin), qui sont les descendants d’Ali, gendre du Prophète (Ali, cousin de Mahomet, épousa la fille de ce dernier : Fatima). Le dernier ayant été assassiné, ils ont imaginé qu’il avait « disparu », et qu’il reviendrait à la fin des temps (Jugement dernier ; c’est le mythe du Mahdi, utilisé dans le nom de la trop fameuse Armée du Mahdi, de Moqtada Sadr en Irak). Ils attendent donc le retour du douzième imam comme le Messie. Les chiites duodécimans dominent l’Iran, le sud de l’Irak ainsi que le sud et l’est du Liban (mouvements Hezbollah et Amal).
Mais à ces chiites duodécimans, majoritaires, s’ajoutent les Ismaéliens, les Alevis, les Alaouïtes de Syrie (qui ne sont probablement même plus considérés comme des musulmans par les autres), quant aux Druzes, présents au Liban, en Syrie et en Israël, s’ils furent originaires du chiisme, on ne peut guère plus les considérer comme des musulmans à l’heure actuelle.

Ainsi donc, tous les pays de la région sont de véritables mosaïques de peuples et de confessions religieuses. La constitution du Liban reconnaît officiellement 17 communautés (de fait religieuses, puisque à l’exception de quelques villages, tout le monde parle arabe au Liban), qui ont leur place dans les institutions. La Syrie, outre donc des Kurdes qui sont un peuple, est composée de sunnites, de chiites duodécimans, d’alaouïtes, de druzes et de chrétiens.

Idem en Irak, avec en sus les Yezidis et les Sabéens, donc.

Cartes :
Les principales communautés libanaises
Chiites et sunnites au Moyen-Orient
Communautés chiites au Moyen-Orient
Avec deux erreurs sur cette carte : les ibadites sont des kharidjites, la troisième faction de l’islam avec le sunnisme et le chiisme (et pratiquement éteinte), et les Druzes ne peuvent plus être considérés comme des musulmans (à mon sens du moins).
Plus un lien vers le site Thucydide.com, d’où provient la carte d’ouverture de cet article.

jeudi 16 août 2007

La Déesse aux seins nus

La première fois où j’ai vu une crétoise aux seins nus (non, ce n’était pas sur une plage de Sitia), une Minoenne donc, comme il est convenu de dire depuis Sir Evans, j’ai ressenti un choc…

Ce n’était pas le choc du garçon qui se dit « ouah, elle a les seins nus ! », pas plus que celui de : « rinçons-nous l’œil en prétextant se cultiver ! ». Je ne sais d’ailleurs si ce fut dans ce dessin animé Il était une fois l’Homme, qui présentait les réalisations des Minoens : palais à plusieurs étages, bitume sur les rues, réseau d’eaux usées… Ou dans ce magnifique livre d’histoire illustré, offert par mes parents, et qui dévoilait donc cette Minoenne aux seins nus, et les splendides décors des palais qui surgirent dans l’île de Crète au début du deuxième millénaire avant notre ère.

En vérité, ce choc, ce fut d’abord une interrogation : de nos jours, lorsqu’une femme se dévêt, une des dernières parties de son corps qu’elle dissimule encore ce sont les seins. Il arrive aussi que, dans certaines populations dites « sauvages », ou encore dans l’Égypte antique qui ne l’était certainement pas, hommes et femmes se retrouvent quasiment nus ou presque, ce qui est généralement considéré comme une simple adaptation à la chaleur. En général, donc, lorsque les seins sont nus, c’est parce que la femme l’est aussi. Pourtant, les Crétoises minoennes étaient loin d’être dévêtues. Elles portaient une longue robe à volants, ainsi qu’un petit haut à manches courts, qui recouvrait tout le torse, sauf la poitrine. La question mystère était donc : pourquoi tout sauf la poitrine ?

Éliminons de prime abord les tentatives aussi désespérées que farfelues de réponses telles que : « les seins des Minoennes étaient trop gros, faisant ainsi sauter les attaches du bustier qui les enveloppaient ; pragmatiques, les Minoens décidèrent de laisser les amples poitrines s’épanouir au soleil, sans retenue », ou encore : « ayant poussé loin l’art médical empirique, les Minoens avaient observé que des femmes dont les seins profitent du bon air sont plus saines, et développent des enfants plus vigoureux », ce n’est pas cela non plus, bien que certains pourraient juger, dans une optique naturiste, que cette explication ne soit pas si farfelue que cela. Enfin, oublions le : « les Minoennes adoraient allaiter les enfants, cette vêture si particulière manifestait donc leur attachement à l’allaitement naturel ». C’est joli, c’est presque poétique, mais l’historien qui parviendrait à prouver cela n’est certainement pas encore né.
Néanmoins, cette dernière explication s’approche de ce qui constitua probablement la raison de ces seins libres d’exposer leur vénusté aux regards des dieux et des hommes. En effet, bien que certains semblent l’oublier dans notre civilisation si concupiscente, les seins ont pour fonction première d’allaiter. Ils expriment donc pleinement la fonction maternelle, protectrice et nourricière.
Or, ce que l’on sait de la religion minoenne (cela se réduit à peu de choses) nous indique que les déesses y occupaient une place prépondérante, laissant la portion congrue aux dieux. De fait, à cette lointaine époque, c’était l’ensemble du bassin égéen qui semblait se vouer au culte de la Grande Mère, que l’on nomme ainsi faute de connaître son nom exact. Mais peu importe en vérité. Son nom indique sa fonction première : elle est là pour protéger et nourrir ses enfants les humains. Dite aussi la Mère, ou la Grande Déesse ou la Déesse, ses seins ont donc vocation à manifester son pouvoir protecteur et nourricier. On retrouve d’ailleurs pleinement cette symbolique dans l’Artémis d’Éphèse, déesse polymaste (aux multiples seins), qui est l’héritière hellénisée de la Grande Mère asiatique (l’Asie désignant ici l’Asie Mineure).
Il est cependant encore un mystère de savoir si les Minoens adoraient une seule déesse, la Grande Déesse, dont les diverses représentations qui sont parvenues jusqu’à nous ne sont que des déclinaisons de ses pouvoirs (déesse de la fertilité, déesse des animaux sauvages, etc.) ou s’ils adoraient plusieurs déesses. Les deux systèmes pouvaient d’ailleurs se fondre : le peuple adorait plusieurs déesses, le clergé, plus « cultivé », aurait élaboré un système quasi-monothéiste (une seule Déesse qui se manifeste sous plusieurs formes) comme cela fut le cas en Égypte avec le système divin Amon-Ré-Ptah.
Quoiqu’il en soit, si cette Déesse avait les seins nus, c’était bien pour que, exposés à l’air libre, ils manifestent son pouvoir divin protecteur et nourricier. Il est même probable ou possible que le vêtement crétois, d’abord couvert au niveau de la poitrine, ait été spécialement découvert pour la Déesse, afin que cette source de fertilité ne soit pas voilée, ce qui aurait diminué sa puissance. De là, les prêtresses auraient ensuite adopté ce costume à l’exemple de la Déesse. Il ne s’agit pas d’une pure et bête imitation, ou d’un désir (mégalomane) de se prendre pour la Déesse, mais il faut savoir que prêtres et prêtresses n’ont pas pour seule fonction de prier les dieux. D’une certaine façon, par leurs nombreux actes rituels, ils ont aussi pour rôle d’interpréter la divinité (tel un rôle de théâtre, justement), de la « mimer ». En agissant ainsi ils font exister sa puissance divine dans notre monde profane (ou, exprimé différemment : ils attirent cette puissance sur ceux qui se livrent à ces actes mimétiques). Tel était le cas des prêtres égyptiens qui rejouaient la victoire d’Horus sur Seth, dans les temples d’Horus : en jouant chaque année une représentation de cette victoire du dieu royal par excellence, ils « réactivaient » sa puissance et sa bienfaisante énergie. Les représentations de la Passion du Christ (rappelons que « passion » vient d'un mot qui signifie douleur en grec) dans les pays chrétiens, n’ont, a priori, point cette fonction. Ils servent à l’édification des masses. Néanmoins, il est fort probable que, inconsciemment, nombre de participants y ressentent cette fonction qui consiste à renforcer la puissance divine bienfaisante en rejouant les actes fondateurs de son mythe, tout en s’attirant ses bonnes grâces par cette manifestation de piété.
Bref, pour en revenir au costume échancré des femmes crétoises, il semblerait donc que, des prêtresses, ce dernier ait finalement été adopté par toutes les femmes, soit par imitation, soit par signe de respect envers la Déesse, soit pour manifester avec plus de force encore la puissance nourricière des seins. La raison véritable (si tant est que les Crétois s’étaient souciés de la connaître) nous demeurera de toute façon inconnue.
Telle est du moins (agrémenté de mes réflexions) l’hypothèse que rapporte l’article wikipédia sur le costume minoen, et que j’ignorais jusque lors (pour ce qui est du passage Déesse > prêtresse > toutes les femmes)

Sur le sujet :
Brève introduction du site Mémo
Article du site Clio la Muse
Article wikipédia sur la civilisation minoenne

mercredi 15 août 2007

Blancheur de Lait et Seins Nus

blonde aux seins nusLe dessin ci-contre (qui n’est pas de moi) est certes loin de la perfection. Les courbes des seins sont imprécises, ce qui pour le grand amateur d’appas féminins que je suis est fort regrettable (je plaisante), et de même pour ces yeux qui sont dit-on le miroir de l’âme. Enfin, les traits de l’ensemble sont hésitants…

Et pourtant, et pourtant… Oui, je l’avoue j’ai apprécié ce dessin, tout en étant parfaitement conscient de ses défauts. Il y a quelque chose en lui qui m’attire, qui m’émouvrait presque (sachant d’ailleurs qu’émouvoir signifie « éprouver une émotion »). Peut-être vous-aussi, sceptique lecteur, serez-vous touchés par cette sensation d’une grâce hésitante qui se dégage de ce dessin aux tons d’albâtre (à la vision, certes, du dessin dans son entier, dont n’est ici reproduit qu'un extrait). Peut-être non… Mais qu’importe ? Ne dit-on pas que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde ?

Oserais-je l’avancer ? Il y a, selon moi, une âme dans ce dessin, que d’autres, bien plus apprêtés, et techniquement parfaitement maîtrisés, n’ont pas. Dans le choix de la pose du personnage, dans celui de ses tonalités d’un pastel presque acide, dans cette petite tresse qui vient si délicatement déposer un papillon dans le creux des seins… De même, d’ailleurs, que dans ces étranges « coquillages » hélicoïdes qui ornent les volants de sa robe de bal.

De fait, gageons que si le cygne de Vénus ne s’ébat point ici dans toute sa splendeur, on le sent du moins poindre du nid en cette esquisse.

Bref, et malgré ces imperfections que l’on souhaiterait voir corriger, un coup de cœur…

Ceci étant, cet article n’avait point pour objet initial de vanter les louanges d’un dessin d’une imperfection touchante, mais d’introduire à ce que cette esquisse d’une Vénusté acide inspira à mon imagination. À savoir Déesses mères, Déesses Filles, Déesses crétoises aux seins nus, souvenirs idoines d’un voyage en Crète, et encore même Ishtar…Mais ceci sera pour un autre article, pour autant que vous veuillez bien m’y suivre.

Pour la petite histoire, ce charmant dessin plein de candeur et d’hésitation fut trouvé dans ce blog-ci, qui a peu de choses à voir avec mon mien. Attention au choc culturel… :)

Here we go

Eh bien, nous voici donc à notre tour plongés dans le monde merveilleux des blogs...

Avec le ferme espoir, comme tout auteur censé de blog qui se respecte, de connaître la gloire, voir ses statistiques d'audience exploser, monnayer son espace en pubs sonnantes et trébuchantes.
Certes, pour ce dernier point, il semble qu'il vaille mieux faire dans le sensationnialisme et le racoleur, deux vâleurs sûres d'audiences qui grimpent en flèche.
Ce qui, a priori, ne sera point mon cas.
Snif, aurevoir la gloire, adieu les berlines extravagantes, les coupés rutilants, les filles faciles et l'argent idoine...

Bref, en attendant un contenu plus consistant et plus académique^^, voire une éventuelle refonte de l'aspect de ce blog, a tchao bonsoir...