Oui, « hieros » et non « héros et kami ». Mais quel rapport entre le sacré des Grecs anciens, et les kami japonais ?
Voyons déjà, tout d’abord, ce que l’on peut dire de la notion originelle de kami. La définition est tirée de l’introduction de Religions, croyances et traditions populaires du Japon, sous la direction d’Hartmut O. Rotermund (l’introduction étant de Laurence Caillet), Maisonneuve & Larose :
« Je n’ai pas encore une idée très claire du terme kami. D’une façon générale, kami désigne toutes les divinités du ciel et de la terre qui sont mentionnées dans la littérature classique ; puis les augustes esprits présents dans les sanctuaires où on leur rend un culte. D’un autre côté, sans parler particulièrement des êtres humains, tout ce qui est oiseau, animal, arbre, plante, les mers comme les montagnes, bref tout ce qui n’est pas ordinaire, possède une vertu suréminente, [tout ce] qui est à même d’inspirer de l’effroi — ceci fut appelé kami. Telle est la diversité de nos divinités, et il y en a parmi elles d’augustes comme de vulgaires ; il y en a qui sont fortes, et il y en a qui sont faibles ; de bonnes et de mauvaises de par leur cœur et leur comportement une grande diversité. C’est pourquoi il est difficile d’en parler en termes généraux. »
Voici ce que disait du concept de kami, Motoori Norinaga (1730-1801) savant des « études nationales », qui avaient pour but de ‘restaurer’ l’étude de la littérature proprement nationale, en opposition à la littérature chinoise d’où étaient issus les modèles de la littérature japonaise, et qui possédait donc sur cette dernière une sorte de prééminence intellectuelle et morale. Motoori Norinaga étudia les anciens textes pour tenter de débarrasser toutes les influences bouddhiques et taoïstes de ce que l’on commençait alors à appeler « shintô », la voie des dieux japonais (en opposition à la voie des bouddhas).
Un kami est donc toute force et phénomène extraordinaire ou mystérieux, qu’il s’agisse du vent, de la foudre (les lieux frappés par la foudre se trouvaient consacrés), d’un rocher particulier, d’une montagne, d’un arbre étrange, d’un animal de même. Bien qu’en ce qui concerne les êtres vivants, les rochers et plantes, il y ait débat pour savoir si ceux-ci étaient considérés comme des kami, ou uniquement comme « corps de kami », une forme dans laquelle s’incarnait un kami.
Il en va de même avec les miroirs. Ceux-ci, comme d’autres objets, furent assez tôt considérés comme des « supports du divin », des « points de chute » (yori-shiro). Néanmoins, on peut se demander si, originellement, les miroirs n’étaient pas vus comme des kami à part entière. Quand bien même « support » d’un kami, ils seraient devenus kami par sa simple présence.
Et ce lien des miroirs (kagami) et des kami (que l’on retrouve dans le grand miroir, yata no kagami, de la déesse soleil Amaterasu) est si fort que certains proposèrent de retrouver l’origine du mot kami dans celui de kagami.
En vérité, l’origine du mot kami reste mystérieuse. On a écarté le lien entre kami, et un mot homophone kami qui signifie « haut, supérieur », car à l’époque ancienne les deux mots se prononçaient différemment. Cependant, dès le Xe siècle, les Japonais commençaient à faire la relation entre kami « divinité » et kami « haut, supérieur », par un rapprochement logique. De fait, le kami était bien tout ce qui était d’une essence « supérieure ».
Ceci étant dit, qui se suffirait à lui-même, quel rapport entre kami et hieros ? Le hieros est le « sacré » des Grecs anciens. Voici la définition qu’en donne Édouard Will, dans Le Monde Grec et l’Orient (Ve Siècle), Peuples et Civilisations, Presses Universitaires de France :
« Est hieros, d’une part, le divin et tout ce qui s’y rapporte immédiatement (le culte, le rite, le mythe, etc.), mais aussi tout ce qui passe pour relever d’un ordre transcendantal procédant de la volonté divine (ordre du monde, mais aussi bien ordre social, comme on verra) — et bien évidemment tout ce qui, débordant de toutes parts, échappe à l’explication rationnelle et est donc considéré comme d’essence surnaturelle (notamment tout ce qui inspire une crainte irraisonnée : lieux mystérieux, phénomènes paradoxaux, etc.). Mais est aussi hieros tout ce qui, ne l’étant pas « par nature », l’est devenu par un acte de consécration : ainsi les animaux pris comme victimes, les liquides servant à une libation, tout objet faisant fonction d’offrande, mais aussi l’homme lorsqu’il accomplit un acte sacré. Encore ces quelques indications n’épuisent-elles pas le champ immense de tout ce qui peut être hieros. »
Certes, kami est une entité alors que hieros est une qualité. Mais l’intéressant est de voir, par l’exemple, combien des conceptions grecques et japonaises anciennes pouvaient se recouvrir, jusqu’à être jumelles. Ainsi, on le voit de l’extension de tout ce qui peut être kami, et de tout ce qui puit être hieros : pourrait être kami tout ce qui est support de kami, est hieros tout ce qui est consacré au culte, la victime, l’objet sacrificiel, et le sacrificateur. De même, tout phénomène extraordinaire est un kami, ou hieros chez les Grecs. Certes, il peut sembler d’évidence et de sens commun que les hommes antiques, face aux mystères de la nature, aient élaboré des réponses et explications semblables. Néanmoins, il me semble intéressant de le démontrer par l’exemple, et non par la seule réflexion abstraite, que des sociétés a priori aussi différentes et divergentes que la Grecque et la Japonaise antique, aient pu à ce point converger, au moins dans le domaine de la perception du religieux (la philosophie séparant nettement les deux, puisqu’elle est très présente chez l’une, et pratiquement absente chez l’autre).
En vérité, l’on pourrait aussi établir ce même parallèle entre le Japon ancien, et la Rome antique, d’autant que les deux se trouvèrent confrontés à deux civilisations largement plus élaborées et chatoyantes : la Grèce pour Rome, et la Chine pour le Japon. Mais ceci est une autre histoire.
Voyons déjà, tout d’abord, ce que l’on peut dire de la notion originelle de kami. La définition est tirée de l’introduction de Religions, croyances et traditions populaires du Japon, sous la direction d’Hartmut O. Rotermund (l’introduction étant de Laurence Caillet), Maisonneuve & Larose :
« Je n’ai pas encore une idée très claire du terme kami. D’une façon générale, kami désigne toutes les divinités du ciel et de la terre qui sont mentionnées dans la littérature classique ; puis les augustes esprits présents dans les sanctuaires où on leur rend un culte. D’un autre côté, sans parler particulièrement des êtres humains, tout ce qui est oiseau, animal, arbre, plante, les mers comme les montagnes, bref tout ce qui n’est pas ordinaire, possède une vertu suréminente, [tout ce] qui est à même d’inspirer de l’effroi — ceci fut appelé kami. Telle est la diversité de nos divinités, et il y en a parmi elles d’augustes comme de vulgaires ; il y en a qui sont fortes, et il y en a qui sont faibles ; de bonnes et de mauvaises de par leur cœur et leur comportement une grande diversité. C’est pourquoi il est difficile d’en parler en termes généraux. »
Voici ce que disait du concept de kami, Motoori Norinaga (1730-1801) savant des « études nationales », qui avaient pour but de ‘restaurer’ l’étude de la littérature proprement nationale, en opposition à la littérature chinoise d’où étaient issus les modèles de la littérature japonaise, et qui possédait donc sur cette dernière une sorte de prééminence intellectuelle et morale. Motoori Norinaga étudia les anciens textes pour tenter de débarrasser toutes les influences bouddhiques et taoïstes de ce que l’on commençait alors à appeler « shintô », la voie des dieux japonais (en opposition à la voie des bouddhas).
Un kami est donc toute force et phénomène extraordinaire ou mystérieux, qu’il s’agisse du vent, de la foudre (les lieux frappés par la foudre se trouvaient consacrés), d’un rocher particulier, d’une montagne, d’un arbre étrange, d’un animal de même. Bien qu’en ce qui concerne les êtres vivants, les rochers et plantes, il y ait débat pour savoir si ceux-ci étaient considérés comme des kami, ou uniquement comme « corps de kami », une forme dans laquelle s’incarnait un kami.
Il en va de même avec les miroirs. Ceux-ci, comme d’autres objets, furent assez tôt considérés comme des « supports du divin », des « points de chute » (yori-shiro). Néanmoins, on peut se demander si, originellement, les miroirs n’étaient pas vus comme des kami à part entière. Quand bien même « support » d’un kami, ils seraient devenus kami par sa simple présence.
Et ce lien des miroirs (kagami) et des kami (que l’on retrouve dans le grand miroir, yata no kagami, de la déesse soleil Amaterasu) est si fort que certains proposèrent de retrouver l’origine du mot kami dans celui de kagami.
« Est hieros, d’une part, le divin et tout ce qui s’y rapporte immédiatement (le culte, le rite, le mythe, etc.), mais aussi tout ce qui passe pour relever d’un ordre transcendantal procédant de la volonté divine (ordre du monde, mais aussi bien ordre social, comme on verra) — et bien évidemment tout ce qui, débordant de toutes parts, échappe à l’explication rationnelle et est donc considéré comme d’essence surnaturelle (notamment tout ce qui inspire une crainte irraisonnée : lieux mystérieux, phénomènes paradoxaux, etc.). Mais est aussi hieros tout ce qui, ne l’étant pas « par nature », l’est devenu par un acte de consécration : ainsi les animaux pris comme victimes, les liquides servant à une libation, tout objet faisant fonction d’offrande, mais aussi l’homme lorsqu’il accomplit un acte sacré. Encore ces quelques indications n’épuisent-elles pas le champ immense de tout ce qui peut être hieros. »
Certes, kami est une entité alors que hieros est une qualité. Mais l’intéressant est de voir, par l’exemple, combien des conceptions grecques et japonaises anciennes pouvaient se recouvrir, jusqu’à être jumelles. Ainsi, on le voit de l’extension de tout ce qui peut être kami, et de tout ce qui puit être hieros : pourrait être kami tout ce qui est support de kami, est hieros tout ce qui est consacré au culte, la victime, l’objet sacrificiel, et le sacrificateur. De même, tout phénomène extraordinaire est un kami, ou hieros chez les Grecs. Certes, il peut sembler d’évidence et de sens commun que les hommes antiques, face aux mystères de la nature, aient élaboré des réponses et explications semblables. Néanmoins, il me semble intéressant de le démontrer par l’exemple, et non par la seule réflexion abstraite, que des sociétés a priori aussi différentes et divergentes que la Grecque et la Japonaise antique, aient pu à ce point converger, au moins dans le domaine de la perception du religieux (la philosophie séparant nettement les deux, puisqu’elle est très présente chez l’une, et pratiquement absente chez l’autre).
En vérité, l’on pourrait aussi établir ce même parallèle entre le Japon ancien, et la Rome antique, d’autant que les deux se trouvèrent confrontés à deux civilisations largement plus élaborées et chatoyantes : la Grèce pour Rome, et la Chine pour le Japon. Mais ceci est une autre histoire.