dimanche 19 août 2007

La Grande Mère

Le culte d’une déesse mère, qu’on nomme aussi « Grande Mère » ou « Grande Déesse » est probablement un des plus anciens cultes qui soit, tant la fonction maternelle est incontournable de ce que nous pouvons attendre d’une divinité : protection, bienfaisance, nourriture, apaisement. De plus, face à une divinité « céleste », qui nous surplombe de toute sa puissance (supposée), nous pouvons nous sentir tels des bébés démunis et faibles, et de cette divinité, nous attendrons alors qu’elle nous couve de tout l’amour dont une mère est capable. D’où, d’ailleurs, le succès toujours intact des cultes de type « maternel ». Ainsi donc naît le culte de la « Grande Mère ».

Il est possible, mais pas certain, que ce que l’on nomme les « Vénus préhistoriques » révèlent l’existence d’un culte paléolithique de la Grande Mère. Il est cependant bien difficile de saisir ce que pouvaient croire et imaginer les populations de ces époques reculées. Ces statuettes sont-elles, déjà, l’expression d’un culte à une Grande Déesse qu’elles incarnent ? Ou s’agit-il de sorte d’ex-voto qui représente ce que l’on souhaite obtenir (sans que l’on sache très bien quoi, par ailleurs, les hommes préhistoriques, fort défaillants, ne nous ont pas laissé le mode d’emploi) ?

En tout cas, ce qui demeure très incertain pour la préhistoire, commence à se préciser et à s’affirmer dès l’approche des temps historiques.
Pour en revenir à la Crète et à l’aire égéenne dont elle fait partie, il semble à peu près certain que le culte principal, avant l’invasion des Grecs (vers 2.000 av. J.C.), était celui d’une Grande Mère.
Tel est probablement le cas dans la civilisation cycladique, qui s’épanouit dans les îles du même nom, au centre de la mer Égée. Tel fut probablement le cas en Grèce même, en Crète et sur les rives d’Asie Mineure.
On le sait par le biais des fouilles, qui ne révèlent que des idoles féminines (Crète, Cyclades). On le devine par l’étude détaillée des mythes et légendes grecs qui nous sont parvenus. Enfin, on en possède pratiquement la certitude grâce aux cultes grecs qui ont succédé aux cultes préhelléniques.

Si le grand dieu des Grecs est Zeus, dieu de la foudre et du tonnerre, dont le nom est d’ailleurs l’équivalent de Deus (notons la proximité du z, qui se prononce dz, et du d), les Grecs n’en adoraient pas moins des déesses.
Ainsi en est-il d’Héra, dont le grand temple de Grèce continentale se trouvait à Argos, où l’on suppose qu’elle a simplement supplanté une Grande Mère préhellénique. Mais certains voient aussi dans Héra, l’héritière directe de cette Grande Mère préhellénique, et ses rapports houleux avec Zeus ne seraient que le souvenir du conflit entre les conquérants grecs adorateurs de Zeus, et les autochtones adorateurs d’Héra. Mais ceci n’est qu’une hypothèse. Héra possédait, par ailleurs, un temple tout aussi important à Samos, où elle recouvrait une ancienne Grande Mère asiate (à savoir : adorée en Asie Mineure).

Toujours en Grèce continentale, le très fameux oracle de Delphes était passé, selon la légende, de la tutelle de Gaïa, ou de Thémis, toutes deux déesses, à Apollon, un dieu grec par excellence, qui avait tué le serpent fabuleux Python (d’où le nom de Pythie ou Pythonisse à la prêtresse chargée de prophétiser). On remarquera alors l’association de la Terre Mère (Gaïa) au Serpent. Association que l’on pourrait retrouver dans les cultes d’Athènes, où Athéna aurait vaincu un autre antique serpent. Mais, ici, Athéna, déesse guerrière, semble être l’incarnation d’une déesse grecque, et non pas d’une déesse préhellénique. C’est à nouveau, cependant, le souvenir de la victoire d’un culte sur un autre.

Mais, la Grande Mère par excellence, ce fut Artémis d’Éphèse, que nous avons déjà évoquée. Son temple, dans la ville du même nom, fut considéré comme une des sept merveilles du monde à l’époque hellénistique et romaine (de 300 avant J.C., à 300 après). Tout comme l’Héra de Samos, c’était une déesse des marais, puisque leurs temples furent construit dans des marécages (ce qui causa de grands ennuis aux architectes grecs lorsqu’ils voulurent les rehausser). Des déesses, donc, intimement liées à l’eau, et au mélange de l’eau et de la terre.
L’Artémis d’Éphèse était, dans le monde grec, l’incarnation de la Grande Mère dans toute sa splendeur : portant plusieurs rangées de seins, ainsi que des animaux, un nimbe sur la tête, des victoires suspendus à ce nimbe, des abeilles, des lions, des cerfs, des biches, des griffons. Elle est donc le symbole à la fois de la déesse maîtresse du monde sauvage, mais aussi nourricière, et finalement, souveraine sur le monde entier. Son culte sera florissant à l’époque hellénistique et romaine.

Si l’on quitte le domaine grec, il n’est pas certain que l’on retrouve une Grande Mère dans la déesse Ishtar de Babylone, ni dans l’Astarté phénicienne qui lui correspond.
Par contre, l’on trouve une telle figure en Égypte, dans la déesse Mout, épouse du grand dieu Amon. Et ce, déjà de par son nom même de mout, qui signifie « la mère ». Entraînée par la gloire d’Amon, qui d’obscur dieu de Thèbes devint dieu de l’Égypte entière, Mout finit par devenir la grande divinité égyptienne, la « Mère » par excellence, douce, apaisante, compatissante, mais aussi reine, et parfois furieuse, en ce qu’elle était l’œil de Ré.
On notera cependant que des déesses tels que Bastet ou Hathor possédaient ce même aspect de « mère » divine, compatissante et apaisante, particulièrement pour la première, très populaire à la fin de l’époque pharaonique, et qui veillait aussi sur les naissances.

Néanmoins, le tableau des « Mères » égyptiennes ne serait pas complet si l’on oubliait celle qui devait avoir une destinée spectaculaire bien au-delà de l’Égypte : Isis.
En Égypte même, elle dut d’abord son succès d’être la mère d’Horus, dieu royal, et ensuite l’épouse d’Osiris, qui deviendra le dieu le plus populaire d’entre tous à la basse époque (fin de l’Égypte pharaonique).
Hors d’Égypte, elle finit par supplanter totalement Osiris et Sérapis (dieu « créé » par les derniers souverains grecs d’Égypte), dieux avec qui elle avait été initialement « exportée », pour finir par être adorée dans l’ensemble de l’empire romain, et même au-delà. Déesse des arts magiques, mère compatissante (celle qui veille sur Horus), protectrice des marins, déesse des femmes, déesse « aux mille noms », elle est réellement La Déesse, celle que vous pouvez adorer et vénérer seule, tant ses fonctions sont vastes.

Mais l’autre Grande Déesse par excellence de l’empire romain sera aussi Cybèle, et on ne peut évoquer les Grandes Mères, sans évoquer celle qui était surnommée La Mère des Dieux.
Tout comme Artémis d’Éphèse ou Héra de Samos, elle est une Grande Mère asiate (originaire de Pessinonte en Asie Mineure). Mais son culte était beaucoup moins doux et apaisant que celui de la compatissante Isis. Car la légende de Cybèle impliquait son parèdre Attis, qui s’était émasculé (autrement dit châtré) pour la Déesse. De fait, les prêtres de Cybèle étaient des eunuques. De plus, lors des fêtes de la déesse, ses fidèles se tailladaient les bras à coup de hache, faisant ainsi des processions de la déesse, des défilés sanglants (il arrivait aussi souvent que certains fidèles, en pleine extase, se châtrent eux-mêmes en pleine fête…).

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Isis et Cybèle n’ont point disparu. Elles survivent en effet dans un nouvel avatar de la Grande Mère qui leur doit beaucoup : la Vierge Marie. La Sainte Vierge des chrétiens (pour ceux qui l’adorent) a en effet directement emprunté les représentations d’Isis mère d’Horus. La Vierge allaitant l’enfant Jésus, telle était déjà représentée Isis allaitant Horus. La mère compatissante, telle est aussi la Vierge, sans compter les « innombrables noms » d’Isis. Ne compte-t-on pas une infinité de Notre-Dame de ceci ou de cela ? Enfin, à Cybèle, elle a emprunté son titre de « Mère de Dieu ». Cybèle était Mère des Dieux, mais puisque nous nous trouvons dans un « monothéisme », la Vierge devient « Mère de Dieu ». Et les innombrables processions de la Vierge sont parfois les héritières directes des processions de Cybèle, qui se trouvait fort adorée en Espagne… Enfin, les auto-flagellations de certains, qui tendent à disparaître, ne le cédaient en rien à celle des galles (prêtres) de la Grande Mère asiate.

Alors, non, la Grande Mère n’est pas morte, et au vu de la ferveur que son culte suscite encore de part le monde, elle semble avoir encore de beaux jours devant elle…
Nous voilà rassurés. :)

Aucun commentaire: